1973

Chili : un massacre et un avertissement
Brochure LO parue le 30 septembre 1973

chili

Chili : un massacre et un avertissement


Le mardi 11 septembre 1973, la � junte � form�e par les g�n�raux commandant les diff�rentes armes de l�arm�e chilienne a brutalement mis fin � l�existence du gouvernement Allende, de ce gouvernement qui depuis sa constitution, en octobre 1970, pr�tendait assurer la t�che du passage pacifique du Chili au socialisme. Et � la t�te de la junte militaire, il y avait le g�n�ral Augusto Pinochet, l�un de ces g�n�raux que les dirigeants de l�Unit� Populaire avaient pr�sent�s aux travailleurs comme des militaires loyaux, comme les meilleurs garants de la l�galit�.

Le putsch a �t� d�une rare violence. Les blind�s et l�aviation d�assaut sont intervenus massivement d�s le d�but, et les images de Santiago qui nous sont parvenues depuis sont celles d�une ville frapp�e par la guerre. Nul ne peut encore, d�ici, faire le bilan exact du drame, dire combien de milliers de travailleurs, de petites gens, sont d�j� tomb�s sous les coups des bourreaux. Mais l�on sait que depuis le coup d��tat, la chasse � tout ce qui �tait de gauche est ouverte au Chili, que l�on fusille et que l�on d�porte � tour de bras, que des milliers de prisonniers s�entassent dans les stades de Santiago ou dans les cales des navires de guerre, � Valparaiso. Et les premi�res mesures politiques prises par la junte : interdiction de tous les partis politiques de gauche, dissolution des syndicats ouvriers, ne laissent aucun doute sur la port�e de ce qui est en train de s�accomplir l�-bas.

Pour les militaires chiliens, il ne s�agit pas seulement de remplacer le gouvernement Allende par un gouvernement plus � droite. Il s�agit de pratiquer la saign�e � laquelle r�vent tous les g�n�raux r�actionnaires. Il s�agit d�essayer d�assassiner toute une g�n�ration de militants ouvriers et socialistes, de frapper de terreur la classe ouvri�re et la population pauvre tout enti�re, et de tenter d�an�antir tout espoir m�me en une autre soci�t�.

Le sort tragique du prol�tariat chilien, les travailleurs du monde entier doivent en tirer les le�ons. Certains - ceux l� m�mes, surtout, qui d�fendent en France la m�me politique qu�Allende et l�Unit� Populaire d�fendaient au Chili - disent que ce n�est pas le moment, que sur les tombes � peine recouvertes des martyrs de Santiago, il convient seulement de se recueillir. Mais les le�ons que nous devons tirer des �v�nements chiliens, les travailleurs de l�-bas les ont pay�es trop cher pour que nous ayons le droit de les m�priser. Toute une g�n�ration de militants massacr�e, et il ne faudrait pas essayer de savoir comment cela fut possible, comment �viter que cela ne se reproduise ailleurs, dans l�avenir ?

C�est au contraire aujourd�hui le devoir de tous les travailleurs conscients de se poser ces questions. Et il n�y a qu�en tirant les le�ons de ce drame que les travailleurs du monde entier pourront un jour r�aliser ce qui �tait l�espoir de leurs fr�res chiliens, l�av�nement d�une soci�t� socialiste, et venger du m�me coup toutes les victimes de la barbarie capitaliste, venger la classe ouvri�re chilienne assassin�e.

Pourquoi l�arm�e a-t-elle pris le pouvoir et a-t-elle massacr� la gauche ?

D�abord parce qu�elle en a eu la possibilit�. La crise �conomique, qui existait certes bien avant l�arriv�e de l�Unit� Populaire au pouvoir, mais qui n�avait cess� de s�approfondir depuis 1970, le m�contentement croissant de la petite bourgeoisie urbaine, le d�senchantement sans doute aussi d�un certain nombre de travailleurs d��us par l�Unit� Populaire, et qui ne voyaient pas pourquoi ils auraient d�fendu Allende, tout cela constituait une situation politique qui a donn� � l�arm�e et � l�extr�me droite l�occasion de s�imposer au pouvoir, et d�imposer leur politique � la bourgeoisie chilienne qui, jusque l�, faisait confiance � Allende par l�interm�diaire des hommes politiques des partis bourgeois de droite.

Ces circonstances favorables permettaient aussi � l�extr�me droite de d�barrasser la bourgeoisie chilienne, pour des ann�es, de toute opposition ouvri�re en �liminant physiquement tout ce que la classe ouvri�re comptait de militants.

Pour l�arm�e, qui ne repr�sentait dans le pays qu�une force num�riquement tr�s minoritaire, ce massacre �tait d�ailleurs une n�cessit� politique. Elle ne pouvait se contenter de d�poser Allende et de le remplacer � la t�te de l��tat, gestes auxquels se r�sument parfois, dans d�autres circonstances, certains coups d��tat militaires. La r�ussite imm�diate du putsch - face � une possibilit� de r�sistance de la classe ouvri�re - comme la stabilit� future du r�gime qu�il voulait mettre en place imposaient � l��tat-major de frapper vite et fort, et de briser la classe ouvri�re pour le plus longtemps possible.

Le coup d��tat contre Allende �tait-il pr�visible ?

Le coup d��tat militaire n��tait-il pas pr�par� ?

D�s le d�but du gouvernement Allende la possibilit� d�un putsch militaire �tait pr�sente � tous les esprits. Depuis des mois - mais plus particuli�rement depuis la tentative de putsch d�un r�giment de blind�s de la capitale le 29 juin dernier - tout le monde savait - et bien entendu Allende et les dirigeants de l�Unit� Populaire les tout premiers - qu�il existait une menace permanente de coup d��tat.

Pour preuve que la gauche chilienne �tait parfaitement au courant de cette menace il suffit de relire les num�ros de ces trois derniers mois du quotidien du PCF L�Humanit�, qui refl�te certainement fid�lement les pr�occupations et les informations du Parti Communiste Chilien et de l�Unit� Populaire. La possibilit� d�un coup d��tat y est sans arr�t �voqu�e :

� La r�action a compris que toute possibilit� de � coup d��tat l�gal � lui devenait interdite. Il ne restait, il ne reste plus que le putsch � (L�Humanit� du 30.6.73).

� Situation tr�s grave au Chili : les d�put�s de la droite appellent l�arm�e � renverser le gouvernement � (titre de L�Humanit� du 24.8.73).

� Le troisi�me (courant qui traverse l�arm�e, NDLR) - notamment dans l�aviation et la marine - est pr�t sans aucun doute pour peu que la conjoncture s�y pr�te � prendre la direction ou � se rallier � un coup d��tat r�actionnaire  � (L�Humanit� du 8.9.73).

Dans les semaines et les mois qui ont pr�c�d� le putsch, l�arm�e prenait de plus en plus ses distances d�avec le gouvernement Allende : d�mission du g�n�ral Ruiz de ses fonctions de ministre des travaux publics et de commandant en chef des forces a�riennes le 18 ao�t ; d�mission du g�n�ral Prats du minist�re de la d�fense et du commandement en chef des forces arm�es le 23 ao�t ; d�mission des g�n�raux Guillermo Pickering et Mario Sepulveda, respectivement directeur de tous les instituts militaires du pays et commandant de la garnison de Santiago, le 24 ao�t ; d�mission de l�amiral Raoul Montero, commandant en chef des forces navales chiliennes de son poste de ministre des finances le 27 ao�t. R�gis Debray, qui se pr�sente comme un allendiste inconditionnel et un ami de l�ex-pr�sident, �crit dans Le Nouvel Observateur du 17.9.73 : � R�unissant le lendemain dans son bureau le corps des g�n�raux d�active des forces arm�es, il (Allende, NDLR) d�couvrit qu�il ne pouvait compter que sur quatre g�n�raux contre dix huit (les quatre �taient parmi ceux qui allaient d�missionner de l�arm�e en ao�t, NDLR). Au m�me moment, les officiers subalternes d�lib�raient dans toutes les casernes du pays : huit sur dix, surtout parmi les plus jeunes, demandaient le rel�chement des mutins et la destitution des quatre fid�les qui, Prats en t�te, avaient obtenu leur reddition �.

Le coup d��tat n��tait pas seulement pr�visible. Il �tait pr�vu. Par Allende et son gouvernement lui-m�me. Mais ils n�ont rien fait pour s�y opposer.

Pourquoi les soldats issus du peuple ne se sont pas oppos�s au putsch ?

Parce que personne - except� peut-�tre certains mouvements gauchistes - ni Allende ni les partis qui le soutenaient, ne le leur ont demand� ni ne les ont pr�par�s � cela.

Car au moment d�un putsch, si les soldats n�ont pas �t� pr�par�s d�avance � son �ventualit� et instruits de ce qu�ils doivent faire en ce cas, ils n�ont aucun moyen de s�y opposer. Et aussi bien les soldats du contingent que les engag�s qui pourraient prendre le parti des travailleurs et de la gauche. Laiss�s dans l�ignorance la plupart du temps du but r�el des ordres qu�ils re�oivent et des mouvements qu�ils font, coup�s du reste de la population, soumis � leurs officiers, par quel miracle trouveraient-ils brusquement la conscience et la force de leur dire non au moment pr�cis o� ces officiers, franchissant le Rubicon, ne peuvent plus tol�rer dans leur troupe ni la moindre d�sob�issance ni m�me la moindre h�sitation ?

C�est avant l��ventuel putsch que les soldats sympathisants de la cause des travailleurs doivent �tre pr�par�s � contr�ler tous les faits et gestes de leurs officiers, �tre appel�s � d�sob�ir aux ordres qui pourraient leur sembler suspects ou encore mieux qui n�auraient pas re�u d�abord l�approbation des repr�sentants civils des travailleurs (syndicats ou comit�s locaux), �tre organis�s en liaison avec les travailleurs pour qu�ils sentent qu�en cas de conflit avec leurs officiers ils ne se trouveront pas seuls face � ces hommes qui ont sur eux tout pouvoir, y compris de vie et de mort. C�est avant le putsch que les travailleurs doivent montrer aux soldats qu�ils sont pr�ts � lutter et d�cid�s � triompher. Car les soldats ne peuvent refuser d�ob�ir aux ordres de leurs officiers et passer dans l�autre camp, ou m�me simplement rester neutres, que s�il y a dans cet autre camp une perspective de victoire.

Au lieu de cela le gouvernement d�Unit� Populaire a multipli� les proclamations pour demander aux soldats de rester fid�les � leurs officiers, m�me et y compris dans la derni�re p�riode, alors que l�arm�e �tait en pleine pr�paration du coup d��tat. Ainsi, le 1er septembre, quelques jours � peine avant le putsch, �tienne Fajon, qui revenait d�un voyage au Chili, disait lors d�une conf�rence de presse : � La phras�ologie gauchiste de diff�rentes formations, dont le MIR est la plus connue, a �tay� des positions irresponsables et aventuristes ; c�est le cas de la consigne gauchiste de d�sob�issance lanc�e aux soldats, qui a facilit� les tentatives des officiers favorables au coup d��tat... �.

Pendant le mois d�ao�t on apprenait que plus d�une centaine de marins avaient �t� emprisonn�s et tortur�s pour avoir voulu s�opposer � la pr�paration d�un putsch par leurs officiers. Non seulement l��tat-major de la marine avait, semble-t-il, mont� une provocation pour amener les marins sympathisants actifs de la gauche � se d�couvrir mais, de plus, il annon�ait tout � fait officiellement qu�il entendait maintenant les traduire devant la justice militaire. Le gouvernement Allende laissait faire. Comment apr�s cela les soldats auraient-ils pu prendre son parti en sachant qu�ils risquaient alors la prison et la torture sans que le pouvoir fasse un geste pour eux ?

C�est une telle politique qui a condamn� tous les soldats � rester solidaires de leurs officiers quoi qu�il arrive.

Mais pour mener une autre politique, il fallait �tre pr�t et r�solu � briser l�arm�e et non pas avoir comme souci essentiel de la pr�server.

Est-il plus difficile de se d�fendre contre une arm�e de m�tier que contre une arm�e de conscrip-tion ?

Au Chili il y a un contingent d�appel�s aux c�t�s des 75 000 militaires professionnels (en comptant les 25 000 carabiniers). En Espagne en 1936 il y avait un service militaire. Il est donc absurde de croire que l�arm�e de conscription, qui de toute mani�re est toujours encadr�e par des professionnels, est une protection automatique contre un coup d��tat militaire.

De m�me d�ailleurs, l�arm�e fran�aise, compos�e de seuls professionnels en Indochine et d�une majorit� du contingent en Alg�rie, mena exactement le m�me sale travail et la m�me guerre coloniale dans ces deux pays.

Les hommes de troupe seuls, conscrits ou professionnels, ne peuvent rien contre l�encadrement. Ils sont �cras�s par lui et ne peuvent que suivre, y compris dans un putsch qu�ils d�sapprouvent.

La vraie question, la seule, d�pend de la politique de la classe ouvri�re et des organisations qui la repr�sentent, de leur capacit� et de leur volont� de s�adresser aux soldats, de les dresser contre leurs officiers, d�aider par tous les moyens ceux qui le font, et surtout d�offrir des perspectives de victoire pour le camp des travailleurs. Comment des soldats, professionnels ou conscrits, qui risquent la prison sinon le peloton d�ex�cution pour simplement exprimer leur sympathie � la gauche au sein de l�arm�e, pourraient-ils prendre parti contre leurs officiers ou m�me simplement refuser d�ob�ir aux ordres des putschistes, si les choses sont r�gl�es d�avance, si la victoire des militaires est assur�e, si les travailleurs n�ont aucune chance de triompher ?

Pourquoi les � officiers d�mocrates � ne se sont-ils pas oppos�s non plus au putsch ?

Au d�but du mois d�ao�t on estimait, para�t-il, qu�il n�y avait que cinq ou six g�n�raux d�active sur vingt-cinq sur lesquels Allende pouvait compter et que huit officiers sur dix lui �taient d�favorables. Et, pendant ce mois d�ao�t, � l�approche du putsch, tous les g�n�raux qui passaient pour allendistes ont donn� leur d�mission. Ils ont pr�f�r� dispara�tre plut�t que de s�opposer au coup d��tat.

Le g�n�ral Prats, en donnant lui-m�me sa d�mission du minist�re de la d�fense et du commandement en chef des forces arm�es a r�sum� leur position : � Pour ne pas briser l�arm�e �.

Si les politiciens d�mocrates, du type Allende, pr�f�rent la d�faite politique et m�me risquer la mort plut�t que de toucher � l��tat et � ce qui en est l�essence, l�arm�e et la police, comment pourrait-il en �tre autrement des officiers � d�mocrates � ? L�arm�e, c�est eux. Par toutes les fibres de leur formation, de leur vie, de leur �tre, ils sont destin�s � la pr�server. Au risque, eux aussi, de la d�faite de leur parti et m�me de leur carri�re.

Allende a-t-il essay� de s�appuyer sur la classe ouvri�re face � la menace de putsch ?

L�arm�e chilienne compte 75 000 professionnels dont 50 000 dans les divisions classiques, terre, mer, air, et 25 000 carabiniers organis�s sur le mod�le militaire et dot�s d�un armement d�infanterie. Face � cela il y a � un million et demi de travailleurs sur lesquels la centrale syndicale unique exerce une influence directe � (L�Humanit� du 27.8.73).

La classe ouvri�re avait donc les moyens de s�opposer au coup d��tat militaire, � condition de s�armer, de faire appel � l�int�rieur m�me de l�arm�e aux militaires (soldats ou sous-officiers) favorables � la gauche, et surtout de passer � l�offensive la premi�re sans laisser l�avantage de celle-ci � l��tat-major.

Au lieu de cela, la gauche a parl� d�armer les travailleurs sans le faire. � S�il le faut, le peuple sera arm� � d�clarait � la radio Allende � la suite du putsch manqu� du 29 juin. Mais en mati�re de guerre civile rien n�est plus ridicule que les menaces sans effet et les rodomontades.

Elle a mobilis� la classe ouvri�re dans de grandes manifestations de rue pacifiques et d�sarm�es. � Santiago, il y a eu 500 000 manifestants le 30 juin � la suite du putsch manqu� du r�giment de blind�s et 800 000 le 4 septembre, cinq jours avant le putsch. Mais que peuvent des centaines de milliers de travailleurs d�sarm�s contre quelques milliers de soldats, eux bien arm�s ?

Il y avait parmi les soldats et les sous-officiers un certain nombre de partisans de la gauche, comme le prouve l�affaire des marins de Valparaiso.

Mais le gouvernement d�Allende laissait l��tat-major de la marine monter officiellement et publiquement un proc�s contre ces marins, et de plus, il multipliait les appels aux soldats pour qu�ils demeurent loyaux envers leurs officiers. Ainsi L�Humanit� du 9.9.73 r�sumait la th�se de l�Unit� Populaire : � Certains mots d�ordre - par exemple la d�sob�issance envers les officiers �lev�e dans tous les cas en vertu r�volutionnaire - donnent pr�texte � des conflits renfor�ant les positions de la droite, � des provocations d�officiers r�actionnaires contre le gouvernement. On voudrait jeter dans les bras des comploteurs les officiers loyaux que l�on ne s�y prendrait pas autrement...  �. En fait, la politique de I�Unit� Populaire a surtout abouti � laisser sinon dans les bras, du moins sous les ordres de leurs officiers, les soldats qui pouvaient lui �tre favorables. Que pouvaient-ils faire d�autre puisque c�est la gauche elle-m�me qui leur recommandait, comme la premi�re des vertus, l�ob�issance � leurs officiers et qui, de plus, abandonnait � ces m�mes officiers ceux d�entre eux qui avaient voulu s�opposer � d��ventuelles en-treprises factieuses ?

Ce que la gauche a con�u au mieux pour s�opposer au putsch, c�est de mobiliser les travailleurs pour garder les usines. � Les 10 000 volontaires de la patrie - jeunes communistes, socialistes, chr�tiens, ouvriers, �tudiants, paysans qui consacrent jusqu�� 18 heures par jour � la conduite, au chargement, au d�chargement des camions, qui montent la garde autour des usines, des centrales �lectriques, des r�servoirs d�eau potable, qui affrontent les commandos d�extr�me droite - donnent par leur exemple quotidien une id�e de ce que serait la riposte populaire � un �ventuel coup de force �. (L�Humanit� du 27.8.73).

Mais dans les semaines qui ont pr�c�d� le putsch, l�arm�e a multipli� les perquisitions dans les quartiers ouvriers et les entreprises pour y rechercher les armes que les travailleurs auraient pu d�tenir. Non seulement le gouvernement d�Unit� Populaire n�a rien fait pour s�opposer � ces op�rations polici�res, mais il a au contraire donn� � l��tat-major un blanc-seing pour y proc�der.

Pourquoi l�Unit� Populaire n�a-t-elle pas essay� de s�appuyer sur les travailleurs ?

Parce que ses dirigeants - et en premier lieu Allende lui-+m�me - sont des hommes politiques bourgeois, m�me s�ils se disent de gauche, socialistes, communistes ou marxistes, parce qu�� l�image de L�on Blum, chef du gouvernement du Front Populaire en France en 1936 qui se qualifia ainsi lui-m�me, ils se sont comport�s comme des � g�rants loyaux du capitalisme �, et en �taient.

Et tous les hommes politiques bourgeois, quelle que soit leur couleur politique, savent que le dernier recours pour d�fendre l�ordre social �tabli, c�est l�appareil de l��tat bourgeois, l�arm�e et la police. Il n�est donc pas question pour eux de toucher � celles-ci. M�me s�ils savent aussi qu�elles sont compos�es d�hommes de droite et de fascistes, c�est �-dire d�adversaires politiques dont le r�ve et le programme sont d�annihiler la gauche et le mouvement ouvrier.

Le gouvernement d�Unit� Populaire n�a d�ailleurs pas touch� davantage au reste de l�appareil d��tat. Il a accept� la loi d�inamovibilit� des fonctionnaires, qui a permis � tous ceux mis en place par les gouvernements de droite pr�c�dents, et notamment la D�mocratie Chr�tienne de Frei, de rester � leur poste... et d�y mener �ventuellement une autre politique que celle du gouvernement.

Les politiciens de l�Unit� Populaire pr�f�raient courir le risque du coup d��tat, avec tous les risques personnels que celui-ci comportait pour eux, comme le montre l�exemple d�Allende, plut�t que de prendre le risque de d�molir cet instrument de la bourgeoisie, qui est le meilleur et l�ultime garant contre les exploit�s, la classe ouvri�re et la r�volution.

Cette attitude est d�ailleurs le crit�re de la nature politique profonde de ces hommes de gauche, la preuve que, quelle que soit l�id�ologie dont ils se r�clament, ils ne sont en r�alit� que des repr�sentants de la bourgeoisie.

En cas de victoire de l�Union de la Gauche, l�arm�e fran�aise pourrait-t-elle jouer le m�me r�le que l�arm�e chilienne ?

La caste des officiers fran�ais est exactement comme au Chili li�e par toutes ses fibres � la bourgeoisie et � la r�action.

Sans remonter aux si�cles pr�c�dents, l�arm�e fran�aise a m�me une tradition plus solide dans la r�pression que l�arm�e chilienne puisque, apr�s la Seconde Guerre Mondiale, elle a men� pr�s de vingt ans de guerre coloniale en Indochine, � Madagascar, en Alg�rie, etc. Tous les officiers qui ont aujourd�hui le grade de capitaine ou au-dessus sont pass�s pratiquement par cette �cole. Un bon nombre de sous-officiers de carri�re aussi.

Et surtout le r�le fondamental de l�arm�e est, en France comme au Chili comme partout, de servir d�instrument ultime et d�cisif pour trancher en faveur de la d�fense de l��tat bourgeois.

Le jouerait elle ?

Aucun doute n�est permis. Si la bourgeoisie, ou certains secteurs d�terminants de celle-ci, estimaient, pour une raison ou une autre, que laisser la gauche au pouvoir devient dangereux ou nuisible pour leurs int�r�ts et qu�ils n�aient pas d�autres moyens de s�en d�barrasser, ils feraient appel � l�arm�e.

Le r�gime actuel de la Cinqui�me R�publique a �t� instaur� � la suite de la r�volte de l�arm�e en Alg�rie en mai 58. En avril 61, quelques g�n�raux tent�rent par un nouveau putsch en Alg�rie de se d�barrasser de de Gaulle. � leur t�te, il y avait Salan, qui avait pass� longtemps pour un g�n�ral � r�publicain � et avait la r�putation d�un g�n�ral politique qui avait gagn� ses galons gr�ce � ses relations avec les politiciens de la Quatri�me R�publique. Comment pourrait-on soutenir apr�s cela qu�un putsch est impensable avec l�arm�e fran�aise ?

D�ailleurs une partie des manoeuvres que font r�guli�rement les troupes consiste � apprendre � lutter contre une �ventuelle subversion int�rieure. � quoi cela rime-t-il donc sinon � s�entra�ner pour la guerre civile ?

Mitterrand et Marchais nous d�fendraient-ils mieux qu�Allende ?

Les prises de position des dirigeants du Parti Communiste Fran�ais et du Parti Socialiste, au lendemain du putsch chilien, sont parfaitement claires. Ils n�ont tir� aucune le�on de ces �v�nements, et ont au contraire d�clar� qu�ils n�entendaient changer en rien leur politique.

�tienne Fajon �crivait par exemple dans L�Humanit� du 13 septembre : � Le drame chilien confirme, par ailleurs, pour nous, la justesse de notre orientation fondamentale maintes fois expos�e... les partis de gauche, pour promouvoir et mettre en oeuvre leur programme commun, doivent s�assurer le soutien actif et pers�v�rant de la masse immense des travailleurs, de toutes les victimes des monopoles, c�est �-dire de la grande majorit� des Fran�ais ; ainsi sera isol�e et, par cons�quent, mise hors d��tat de nuire l��troite oligarchie qui domine encore aujourd�hui l��conomie et la politique de la France ; ainsi la volont� du peuple sera assez forte pour d�jouer tous les complots et pour l�emporter �. Comme on le voit, pour Fajon et le PCF, le probl�me de � mettre hors d��tat de nuire � l�arm�e et la police au service de la grande bourgeoisie ne se pose m�me pas. Il suffit � d�isoler � celle-ci.

Et quant � l�attitude qu�aurait l�Union de la Gauche au pouvoir vis-�-vis de l�arm�e, voil� ce que d�clarait Fran�ois Mitterrand le 24 septembre au micro d�Europe N�1 : � Je n�ai jamais mis le l�galisme de l�arm�e en doute, en d�pit des exp�riences cruelles de 1958 et 1961. L�arm�e ne constitue pas une menace � l�heure actuelle pour une r�publique gouvern�e par la gauche et dont les structures �conomiques seraient modifi�es. �

Pour justifier cet optimisme b�at, les dirigeants de l�Union de la Gauche n�ont finalement, en dernier recours, que cette lapalissade maintes fois r�p�t�e en particulier par Georges Marchais : � Le Chili n�est pas la France �. Pour eux, ce seraient donc des conditions sp�cifiques � la France qui permettraient de ne pas craindre de putsch dans ce pays, en cas de venue de la gauche au pouvoir.

Leur raisonnement n�a d�ailleurs rien d�original, car les r�formistes de tous les pays expliquent toujours la possibilit� du passage au socialisme par des voies pacifiques dans leur propre pays par les conditions sp�cifiques de celui-ci. � preuve cette d�claration que Salvador Allende a faite en juin 1972 � un journaliste fran�ais (Le Figaro du 13 septembre) : � C�est dans notre pays seul que l�arm�e d�fend la Constitution et la loi. Elle apporte dans le respect de la volont� populaire une contribution technique inappr�ciable au d�veloppement de la nation �. Et, rapporte ce journaliste, Allende avait ajout� : � Hein, vous ne pourriez pas en dire autant en France, ni dans la plupart des pays europ�ens ! �

Comment la gauche peut elle se prot�ger contre un coup d��tat militaire �ventuel ?

Les ouvriers pouvaient-ils s�opposer au coup d��tat militaire ?

Face � la menace de putsch ce n��tait pas attendre l�arme au pied, � supposer qu�ils aient effectivement des armes, que devaient faire les travailleurs. Cela, c��tait au mieux, leur offrir d�avance comme seule perspective de succomber en d�fendant h�ro�quement leur usine. C�est ce qui est arriv�.

Pour avoir une chance de vaincre le putsch il faut en prendre les devants.

Quelques milliers d�officiers mis hors d��tat de nuire ce n��tait pas chose impossible � des dizaines de milliers de travailleurs qui de toute mani�re risquaient leur vie en laissant faire l�arm�e comme la suite l�a prouv�. C��tait d�autant moins impossible qu�ils auraient alors �t� aid�s par la minorit� des soldats de gauche.

Mais pour cela, bien plus que les usines, les centrales �lectriques ou les points d�eau, c��taient les stocks de vivres, de munitions, d�armement et de carburant qu�il aurait fallu mettre sous le contr�le direct des travailleurs, et faire en sorte que pas un officier puisse s�y servir sans avoir re�u au pr�alable le visa des repr�sentants des travailleurs.

Il aurait fallu que les travailleurs et leurs repr�sentants p�n�trent dans les casernes, les mettent v�ritablement sous leur contr�le, s�appuient sur les soldats sympathisants, surveillent faits, gestes et ordres des officiers, soient pr�ts � s�opposer � ceux-ci, �ventuellement m�me � arr�ter ceux d�entre eux qui auraient une conduite suspecte.

� cette condition alors, l�organisation d�un putsch par un �tat-major et des officiers sous surveillance constante et mis dans l�impossibilit� de bouger sans le feu vert des organisations ouvri�res aurait pu �tre rendue impossible.

Peut-on �purer l�arm�e et la police ?

L��norme majorit�, sinon la quasi-totalit� des cadres de l�arm�e et de la police sont de droite, r�actionnaires ou au moins conservateurs. Ceux qui se pr�tendent d�mocrates, nous l�avons vu au Chili, en cas de putsch de la droite pr�f�rent dispara�tre plut�t que de briser l�arm�e et la police en s�y opposant.

�purer signifie-t-il exclure tous ceux-l� ? Mais alors il ne reste plus personne et cela revient dans les faits � dissoudre et briser l�arm�e ou cela signifie-t-il seulement - comme l�entendent les partis de gauche quand ils en parlent - se d�faire des plus r�actionnaires ou des plus compromis d�entre les cadres ? Mais alors c�est ne rien changer de fondamental et maintenir pour l�essentiel ce corps dont la d�fense des int�r�ts de la bourgeoisie est la raison d��tre, c�est maintenir donc tous les dangers de putsch et de coup d��tat.

Peut-on d�mocratiser l�arm�e et la police ?

On ne peut pas plus d�mocratiser qu��purer l�arm�e de la bourgeoisie. En France, tous les cadres de cette arm�e ne sont pas des grands bourgeois. Une bonne partie d�entre eux est issue [1] de la petite bourgeoisie. Les hommes de troupe le sont, eux, de la classe ouvri�re ou de la paysannerie. Mais un paysan, un petit-bourgeois ou un ouvrier qui passe sous l�uniforme et y fait carri�re, abandonne les id�es de sa classe et les attaches avec elle pour devenir un soldat c�est �-dire un instrument dans les mains de l��tat-major. C�est encore plus vrai s�il devient officier. La formation et la discipline auxquelles il est soumis, et qui ont fait largement leurs preuves plus que centenaires, n�ont pas d�autre but.

� la � Lib�ration � on a ainsi pr�tendu d�mocratiser l�arm�e et la police en y int�grant une partie des hommes des maquis. Cela n�a emp�ch� ni les CRS de mater les gr�ves ouvri�res ni l�arm�e de mener les sales guerres coloniales, � commencer par la guerre d�Indochine.

Les chefs du Parti Communiste Fran�ais nous disent aujourd�hui qu�en France il faut compter sur le contingent, que celui-ci est le v�ritable garant de la d�mocratisation de l�arm�e, que les jeunes appel�s, travailleurs, ouvriers, paysans sous l�uniforme pour un temps, ne laisseraient pas faire des officiers putschistes.

Mais coup�s du reste de la population laborieuse durant leur service militaire, encasern�s hors de tout contr�le et de tout droit de regard de cette population, ces soldats comme ceux de carri�re sont enti�rement soumis � leurs officiers. Seuls face � ceux-l� ils n�ont pratiquement aucun moyen de s�opposer � leur volont�.

Et les dirigeants du PCF, qui parlent de d�mocratisation de l�arm�e, ne disent pas un mot, eux, du seul moyen d�assurer cette d�mocratisation : le contr�le des travailleurs sur l�arm�e, les casernes, les armes, les stocks de toutes sortes dont une arm�e moderne a besoin pour exister.

Que serait une arm�e populaire et d�mocratique ?

La seule arm�e populaire et d�mocratique serait celle que formeraient tous les travailleurs en armes, hors des casernes, sans grad�s tout-puissants ni hi�rarchie professionnelle mais avec l�armement et l�instruction militaire sur les lieux de travail ou d�habitation et des chefs �lus et r�vocables, � tous les �chelons.

Certes une arm�e moderne, qui comporte obligatoirement des blind�s, de l�aviation, des armes de toutes sortes d�une haute technologie doit avoir des stocks d�armement et aussi des techniciens capables de servir ces armes.

Mais mettre les stocks et les d�p�ts sous la garde des travailleurs en armes, soumettre leur utilisation par les techniciens � l�approbation des repr�sentants des travailleurs est parfaitement possible. Car il est finalement plus facile aux travailleurs qui fabriquent les armes et les munitions, les moyens de transport et les communications, qui bien souvent les entretiennent, de soumettre l��tat-major et le corps des officiers tout entier � un tel contr�le, qu�aux soldats du contingent isol�s et priv�s d�information.

De toute fa�on, sans un tel contr�le, inutile de parler de d�mocratisation de l�arm�e.

Une arm�e populaire et d�mocratique est-elle possible ?

Une telle arm�e a exist� d�j�, ne serait-ce qu�un court moment, � plusieurs reprises dans l�histoire.

En 1871 sous la Commune de Paris ; en 1917 en Russie aux premiers temps du pouvoir des Soviets ; en Espagne en 1936 quand, malgr� le gouvernement r�publicain, des milices ont surgi un peu partout pour s�opposer justement au coup d��tat de Franco.

Et puis c�est la seule chance des travailleurs, de la gauche, du socialisme. Sinon, si nous ne sommes pas capables de briser ce bastion de la r�action qu�est forc�ment l�arm�e actuelle, ce n�est pas la peine de penser � un pouvoir des travailleurs. Bien pire, un simple gouvernement de gauche a toutes les chances de finir par la r�action militaire comme au Chili.

Les travailleurs n�ont donc pas le choix : ou ils sont capables d�appliquer un programme r�volutionnaire et de briser l�arm�e, ou ils sont condamn�s � subir le joug de la bourgeoisie, de la r�action et du fascisme.

Une police est-elle n�cessaire ?

Le r�le essentiel de la police, sa raison d��tre, est un r�le politique. Elle existe pour d�fendre la propri�t� et l�ordre des capitalistes.

Accessoirement, elle sert aussi � d�fendre les personnes des citoyens contre les voyous criminels ou les fous, qui sont pour le plus grand nombre d�ailleurs eux-m�mes des produits de la soci�t� capitaliste. Mais c�est �videmment ce r�le secondaire et accessoire qui est mis en avant par les tenants du syst�me pour justifier l�existence de cette police.

Les travailleurs n�ont aucun besoin de la fonction politique de la police qui est directement dirig�e contre eux.

La seconde fonction polici�re - la protection des personnes - qui dispara�tra d�ailleurs pour l�essentiel dans une autre soci�t�, aura pourtant sans doute encore un certain temps sa raison d��tre, l�influence et les tares de la soci�t� capitaliste lui survivant certainement un bon moment.

Aussi si toute la police politique doit �tre d�sarm�e et mise sans d�lai hors d��tat de nuire (par exemple CRS et gendarmerie mobile en France, comme aurait d� �tre d�sarm� et mis hors d��tat de nuire au Chili le corps des carabiniers, compos� de 25 000 hommes organis�s sur le mod�le militaire), les hommes charg�s de veiller sp�cialement � la protection des personnes devront �tre en tout �tat de cause constamment contr�l�s par les travailleurs et la population si ceux-ci ne veulent pas voir leurs � d�fenseurs � se retourner un jour contre eux.

Comment contr�ler la police ?

Contr�ler une police, cantonn�e dans le seul r�le de d�fense des citoyens, cela signifie la mettre sous la surveillance constante de ces citoyens.

Tous les policiers doivent �tre �lus et r�vocables � tout moment par les travailleurs de la localit� o� ils ont mission d�exercer leur fonction. Ces travailleurs doivent pouvoir � tout moment contr�ler comment ils l�exercent, c�est �-dire pouvoir visiter jour et nuit les commissariats, et aussi les prisons, demander et exiger des comptes et des explications.

Une police soumise � ce contr�le constant, qui ne serait pas encasern�e mais vivrait au milieu de la population de la m�me vie qu�elle, qui n�aurait pas non plus le monopole des armes puisque l�ensemble des travailleurs serait arm�, une telle police ne pr�senterait alors effectivement plus de risque de constituer un corps � part ni de possibilit� de d�fendre d�autres int�r�ts que ceux des travailleurs et de l�ensemble de la population laborieuse.

Les travailleurs ont-ils un autre choix que celui de d�sarmer l�arm�e et la police et de s�armer eux-m�mes ?

Un tel programme, quand il est d�fendu par les r�volutionnaires, para�t � beaucoup, aujourd�hui en France, utopique ou hors d�atteinte. Pourtant les exemples abondent dans l�histoire o� on a vu l�arm�e mise hors d��tat de nuire, de gr� ou de force, et la population et les travailleurs s�armer.

Et m�me si sa r�alisation para�t bien difficile, les travailleurs doivent pourtant prendre conscience que c�est le seul moyen qui puisse leur garantir non seulement la victoire de la classe ouvri�re et le socialisme, mais ne serait-ce qu�un certain nombre de conqu�tes politiques ou sociales arrach�es dans le cadre m�me de la d�mocratie bourgeoise et du syst�me capitaliste.

S�armer et d�sarmer l��tat-major n�aurait pas co�t� davantage � la classe ouvri�re chilienne que suivre la d�sastreuse politique d�Allende et de l�Unit� Populaire. Beaucoup moins m�me probablement. L�exemple du Chili le montre : ce n�est pas en refusant de s�armer et en ne s�attaquant pas � l�arm�e qu�on �vite la guerre civile et le massacre de la classe ouvri�re. Car en p�riode de crise, quand ce n�est pas la classe ouvri�re, c�est l�arm�e r�actionnaire qui prend l�initiative. Et alors ce n�est souvent m�me pas la guerre civile, mais c�est toujours le massacre d�une classe ouvri�re et d�une gauche d�sarm�es qui n�ont m�me pas la possibilit� de se d�fendre.

Ce n�est pas parce qu�ils se sont arm�s et qu�ils ont entrepris de d�sarmer l�arm�e et la police que des milliers de travailleurs chiliens sont aujourd�hui assassin�s, et des milliers d�autres tortur�s et emprisonn�s. C�est parce qu�ils ne se sont pas arm�s et qu�ils ont laiss� les armes aux mains d�un appareil professionnel de r�pression au service de la bourgeoisie.

Souvenons-nous que la racaille militaire et la canaille r�actionnaire sont d�autant plus impitoyables qu�elles peuvent frapper en toute impunit�. Les plus grands massacres de l�histoire sociale ont toujours �t� ceux des masses sans d�fense, soit vaincues apr�s la bataille comme apr�s la Commune de Paris, soit m�me sans qu�il y ait bataille comme au Chili actuellement, comme en Indon�sie il y a quelques ann�es.

Peut-on craindre une intervention �trang�re ?

La gauche chilienne a fait �tat bien des fois de ses craintes d�une intervention �trang�re, c�est �-dire nord-am�ricaine. Dans les jours m�mes o� a �clat� le putsch, des unit�s navales am�ricaines venaient d�arriver au large des c�tes chiliennes. Sans doute une intervention de la marine et de l�arm�e am�ricaines n��tait-elle pas exclue au cas o� elle se serait r�v�l�e absolument n�cessaire. Il est probable en tout cas que la CIA et l�appui que la droite et les militaires ont trouv� aupr�s des �tats-Unis ne sont pas �trangers au d�clenchement du coup d��tat du 11 septembre [2].

Les interventions des �tats-Unis au Guatemala et � Saint-Domingue, pour ne pas parler du Vietnam, celle de la Grande-Bretagne en Gr�ce en 1945, celles de la France au Gabon ou au Tchad plus r�cemment, celle de l�URSS en Hongrie ou en Tch�coslovaquie font que la crainte d�une intervention �trang�re ne peut pas �tre consid�r�e comme une chim�re ou un mythe.

Pourtant l�exemple de toutes ces interventions qui ont effectivement abouti � remettre en selle un r�gime renvers� ou chancelant contre la volont� de la majorit� de la population laborieuse montre clairement qu�elles r�ussissent d�autant mieux et d�autant plus vite qu�elles trouvent appui dans le pays envahi, sur l�appareil d��tat ou une fraction de celui-ci et que les travailleurs et la population sont sans armes. D�ailleurs la plupart des coups d��tat o� l�on a pu voir la main de l��tranger et des grands pays imp�rialistes, USA, Grande-Bretagne ou France, ont pu �tre r�alis�s sans intervention militaire ext�rieure, avec les seules forces que l�imp�rialisme trouvait justement dans l�arm�e ou la police locale, face � une population d�sarm�e.

A contrario les exemples du Vietnam ou de Cuba montrent que lorsque ces conditions ne sont plus remplies, l�intervention �trang�re devient tr�s difficile, inefficace, voire impossible.

Pourquoi, alors que la Gr�ce, l�Espagne, le Chili ont fini par un putsch militaire et des massacres, m�me les �tats-Unis n�ont pu renverser le r�gime cubain ?

� Cuba, l�ancienne arm�e et l�ancienne police ont �t� compl�tement d�truites. Et aux moments d�cisifs en tous cas - par exemple lors de la tentative d�invasion de la Baie des Cochons par des exil�s cubains entra�n�s et arm�s par les �tats Unis et la CIA - le r�gime castriste n�a pas h�sit� � armer les ouvriers et les paysans, � les constituer en milices.

Et ainsi, Cuba, petite �le de six millions d�habitants, toute proche des c�tes des �tats-Unis, a effectivement r�sist� � toutes les pressions et � tous les assauts de l�imp�rialisme.

Les �tats-Unis n�avaient pourtant pas l�intention de tol�rer � leur porte, � leur nez et � leur barbe, un r�gime qui a expropri� et nationalis� toutes les entreprises am�ricaines sur son territoire, s�est li� � l�URSS et se d�clare communiste.

Mais les �tats-Unis n�ont pu trouver � l�int�rieur m�me de Cuba la force organis�e qu�ils ont trouv�e ailleurs chaque fois qu�ils ont voulu intervenir dans un pays. Et la perspective de se heurter � tout un peuple en armes a suffi pour les emp�cher de tenter une intervention militaire de l�ext�rieur. Ainsi, alors que la situation de Cuba semblait bien pire g�ographiquement et politiquement que celle de la plupart des autres pays o� l�imp�rialisme am�ricain s�est permis d�intervenir, l� il n�a finalement pas os�.

Le respect de la l�galit� par la gauche peut-il arr�ter la r�action ?

Est-ce parce qu�Allende n�avait pas la majorit� absolue qu�il a �t� renvers� par l�arm�e ?

Si tel �tait le cas il y a trois ans qu�Allende aurait �t� renvers� par l�arm�e, le jour o� il arriva en t�te des �lections pr�sidentielles avec 36,3 % des suffrages seulement contre 34,98 % au candidat de droite Jorge Alessandri et 27,84 % au candidat d�mocrate-chr�tien Radomiro Tomic. D�ailleurs, la constitution chilienne pr�voit dans ce cas que l��lection est soumise � ratification par le Parlement. Or au sein de celui-ci, la D�mocratie Chr�tienne apporta ses voix � Allende qui fut donc �lu tout � fait r�guli�rement.

Et si c��tait une question de pourcentage des voix, l�arm�e aurait d� h�siter encore davantage ces derniers mois puisque le 4 mars dernier, lors des �lections l�gislatives, I�Unit� Populaire avait obtenu 43,9 % des voix et avait donc am�lior� son assise �lectorale de plus de 7 % depuis les pr�sidentielles.

Pourtant L�Humanit� (30.6.73) elle-m�me doit �crire : � C�est d�ailleurs depuis les �lections l�gislatives de mars dernier - marqu�es par une progression spectaculaire de l�Unit� Populaire (de 36 % � 44 %) - que les faux d�mocrates de tout acabit se sont engag�s, ouvertement, dans la voie de la s�dition �.

En fait le pourcentage des voix recueillies par Allende n�avait aucune esp�ce d�importance pour l�arm�e. Allende et l�Unit� Populaire auraient-ils recueilli plus de 50 % des voix, 60 ou 70 % m�me, que cela n�aurait en rien arr�t� les g�n�raux. L�arm�e et la police sont faites pour permettre � la bourgeoisie avec quelques dizaines de milliers d�hommes (c�est �-dire avec des forces num�riquement infimes par rapport � n�importe quelle majorit� �lectorale, m�me relative comme celle d�Allende), parce qu�ils sont arm�s et organis�s, de dicter sa loi � des millions d�autres qui ne le sont pas. C�est m�me fondamentalement leur r�le et leur raison d��tre, sinon pourquoi la bourgeoisie entretiendrait-elle � grands frais une arm�e et une police ?

La d�mocratie est un luxe dont la bourgeoisie se passe lorsque les circonstances l�exigent, de son point de vue.

Les dirigeants politiques des pays d�mocratiques sont-ils attach�s � la l�galit� ?

Ce n�est pas l�attachement imb�cile � la l�galit� qui trace les limites de l�action des hommes politiques bourgeois, et pas plus ceux de gauche que ceux de droite. C�est la conscience des int�r�ts des classes qu�ils repr�sentent et qu�ils d�fendent.

Ceux de droite n�ont aucun scrupule � faire appel � l�arm�e et � la police, contre la constitution l�gale : les conservateurs et les d�mocrates-chr�tiens qui ont appuy� la junte au Chili viennent de le d�montrer une nouvelle fois ; de Gaulle qui s�aida de la r�volte des pieds-noirs et de l�arm�e d�Alg�rie pour venir au pouvoir, en est un autre exemple.

Quant � ceux de gauche, s�ils se veulent g�n�ralement plus respectueux de la l�galit�, comme apparut Allende par exemple, c�est parce que cette l�galit� est pour eux un instrument essentiel pour tenir et retenir les masses travailleuses sur lesquelles ils s�appuient �lectoralement. Que ces masses tentent malgr� tout d�aller plus loin qu�ils ne veulent le permettre et ils savent fort bien eux aussi, sans se pr�occuper de la l�galit�, faire alors donner contre elles la force brutale de l�arm�e et de la police.

Allende lui-m�me a su modifier la loi lorsqu�il a estim� que c��tait de l�int�r�t g�n�ral de la bourgeoisie de le faire : � propos des nationalisations ou de la r�forme agraire par exemple. N�importe quel homme politique bourgeois est capable de faire cela. Avant lui, le d�mocrate-chr�tien Frei l�avait fait aussi.

Si Allende, en revanche, ne s�est pas attaqu� � l�arm�e et � la police, s�il a voulu respecter � la lettre la constitution actuelle du Chili, c�est par conscience et choix politiques, et non par scrupules de justice. C�est parce qu�il estimait qu�il �tait vital pour les int�r�ts g�n�raux de la bourgeoisie de les conserver intactes.

Peut-on compter sur la bonne volont� de la bourgeoisie ?

Toute l�histoire des si�cles et des d�cennies pass�s comme l�exemple actuel du Chili le prouve : lorsqu�elle estime que ses int�r�ts l�exigent la bourgeoisie est pr�te � faire tuer et massacrer des milliers sinon des millions d�hommes. Pour d�fendre ses int�r�ts elle a �t� capable de d�clencher et de mener deux guerres mondiales qui ont fait des dizaines de millions de victimes. Pour d�fendre ses int�r�ts elle a toujours �t� pr�te � d�clencher la guerre civile, en Gr�ce, en Espagne, en Indon�sie, etc.

Compter sur la bonne volont� d�une telle classe, compter qu�elle s�inclinera devant le jeu d�mocratique au cas o� il lui serait d�favorable, voil� la v�ritable utopie, l�invraisemblable c�cit� qui ne peut que pr�parer d�autres d�sillusions et d�autres massacres.

Quelles garanties les travailleurs fran�ais doivent-ils rechercher ?

Contre l�arm�e bourgeoise, contre la caste des officiers et l��tat-major, il n�y a pas de garantie possible.

L�existence du contingent, ligot�, b�illonn�, soumis au sein de l�arm�e n�en est une en aucune fa�on.

Les travailleurs ne seront garantis contre un mauvais coup de la part de l�arm�e et de la police, que si elles sont mises hors d��tat de nuire, c�est �-dire dissoutes et d�sarm�es. Sinon l�arm�e restera comme une �p�e de Damocl�s suspendue au-dessus de la t�te de tout gouvernement de gauche et � plus forte raison de tout pouvoir ouvrier.

Et d�sarmer l�arm�e cela veut dire que les armes doivent passer aux mains des travailleurs. L�armement de la classe ouvri�re, gage r�el du pouvoir des travailleurs, voil� le premier point fondamental d�une politique au service des travailleurs. Sans ce point-l�, tous les programmes de gauche, tous les programmes socialistes, dont la r�alisation peut �tre remise en cause � tout moment par une intervention de l�arm�e, ne sont qu�illusion et poudre aux yeux.

La gauche est-elle d�sarm�e devant la crise �conomique ?

Allende est-il responsable de la crise �conomique qui existe au Chili ?

Le paradoxe est que les classes poss�dantes pour qui la crise est � la fois pr�texte et raison � se d�barrasser d�Allende et de la gauche sont les principales responsables de cette crise. Ce sont les �tats-Unis en instaurant le blocus financier du Chili et les bourgeois chiliens en exportant massivement leurs capitaux qui sont responsables de la crise financi�re et de l�accroissement �norme de l�inflation. Ce sont les grands propri�taires terriens qui en abattant leur b�tail, en l�exportant en Argentine ou en refusant aux paysans leur mat�riel agricole sont responsables de la p�nurie d�un certain nombre de produits agricoles.

Oui, Allende a �t� renvers� parce que le gouvernement d�Unit� Populaire s��tait montr� incapable de venir � bout de la crise, et que du coup la bourgeoisie chilienne a cherch� une autre solution politique. Mais c�est � cause m�me de cette crise que la gauche chilienne �tait venue au pouvoir. C�est dans un Chili qui connaissait d�j� � la fois l�inflation (plus de 30 % de hausse des prix par an) et l�agitation sociale (gr�ves, occupations de terres, mouvements �tudiants) que l�Unit� Populaire a remport� une victoire �lectorale. C�est � cause de cette crise que les classes poss�dantes l�ont accept�e un moment au pouvoir dans l�espoir qu�un gouvernement de gauche jouissant de la confiance des masses ouvri�res et paysannes viendrait � bout plus facilement de l�agitation.

Le probl�me n�est donc pas pour la gauche de pleurer sur les difficult�s cr��es par la crise mais de savoir pourquoi elle n�a pas �t� capable d�y apporter une solution... et quelle aurait pu �tre cette solution.

Allende a-t-il �t� renvers� � cause de la crise �conomique ?

La crise �conomique et, avec celle-ci, la crise sociale et politique ont effectivement �t� la cause du renversement d�Allende. De deux mani�res : d�une part elles fournissaient � l�extr�me droite et � la r�action militaire un appui dans l�opinion petite-bourgeoise ; d�autre part elles amenaient les classes poss�dantes � se rallier � la solution des militaires et de l�extr�me droite et � se d�barrasser d�un gouvernement dont la gestion �conomique s�av�rait d�sastreuse et qui se r�v�lait de plus en plus incapable d�assurer l�ordre. Pour la droite, il va sans dire que la crise �conomique qu�elle reproche � Allende n�est qu�un pr�texte, et surtout l�occasion d�appliquer sa politique de toujours de faire une saign�e dans la gauche et le mouvement ouvrier.

Mais comme toujours la bourgeoisie n�a qu�ingratitude pour la gauche qu�elle a tol�r�e au pouvoir pendant un certain temps dans l�espoir qu�elle pourrait mieux que la droite juguler la crise financi�re et sociale.

Dans le m�me temps o� elle demandait � Allende au gouvernement de trouver des solutions, elle lui cr�ait les pires difficult�s en mettant tout ce qu�elle pouvait de ses capitaux et de ses biens hors du Chili. Et quand, en partie au moins � cause de cette attitude, la crise s�est encore aggrav�e elle s�est appuy�e sur cette aggravation pour liquider, en m�me temps que le mouvement ouvrier, Allende lui-m�me.

Quelle a �t� la politique d�Allende face � cette crise ?

Pour lutter contre la crise �conomique et financi�re Allende a utilis� tous les diff�rents moyens et exp�dients dont peut user n�importe quel gouvernement bourgeois en pareil cas : contr�le des changes, contr�le du commerce ext�rieur, rationnement, r�quisitions.

Mais de m�me qu�il a �t� respectueux de l��tat, des fonctionnaires, des magistrats, de la police et de l�arm�e, il s�est inclin� respectueusement devant la r�gle sainte de la bourgeoisie du secret commercial et du secret bancaire. Il n�a pas fait mine une seule fois d�appeler ouvriers et employ�s � assurer r�ellement les contr�les que son gouvernement instaurait en th�orie.

De m�me d�ailleurs qu�il s�est bien gard� d�appeler les paysans � s�emparer du b�tail et des machines appartenant aux grands propri�taires et dont ils auraient eu absolument besoin pour mettre en valeur la terre qui leur �tait remise par la r�forme agraire.

Quand il a lanc� des appels ce fut au contraire pour inciter les ouvriers � ne pas multiplier les occupations d�usines non pr�vues au programme de l�Unit� Populaire et les paysans � ne pas pr�cipiter la r�forme agraire ou � ne pas aller plus loin dans le partage des terres ou des biens des grands propri�taires que la loi ne le pr�voyait.

Et ainsi les capitalistes purent exporter tranquillement leurs capitaux et les propri�taires fonciers saboter les effets possibles de la r�forme agraire en gardant, outre 80 hectares, b�tail et machines agricoles, ce qui eut pour effet d�accentuer l�inflation et les difficult�s du ravitaillement. Et les contr�les, le rationnement, les r�quisitions, assur�s par les seuls fonctionnaires et donc bien inefficaces sur le fond, n�eurent d�autres r�sultats que d�accentuer l�hostilit� de la petite bourgeoisie.

Les puissances d�argent pourraient-elles en France paralyser l�Union de la Gauche ?

Comme ce fut le cas pour le Front Populaire en 1936, comme ce fut le cas pour Allende et l�Unit� Populaire au Chili, ce n�est gu�re qu�en p�riode de crise que la gauche a des chances de parvenir au pouvoir.

Expliquer alors que contre la crise �conomique la gauche ne peut rien c�est d�avance expliquer que son passage au gouvernement ne peut �tre qu�un �chec.

Actuellement d�j�, sans qu�il y ait de raisons autres que la volont� de certains capitalistes de sp�culer sur les monnaies, le franc, comme les autres monnaies occidentales d�ailleurs, est r�guli�rement mis en p�ril par des mouvements de capitaux. Ainsi, � l�heure o� nous �crivons, on parle d�une possible d�valuation du franc. Au lendemain des �v�nements de mai-juin 1968 de Gaulle lui-m�me dut faire face � une telle situation. Et en 1969, pour cette m�me raison, Pompidou dut d�j� proc�der � une d�valuation.

Qu�est-ce que cela pourrait donc �tre si l�ensemble des possesseurs de capitaux jouaient ensemble contre le franc en exportant leurs capitaux, soit pour cr�er des difficult�s � un gouvernement dont ils d�sapprouveraient la politique, soit par simple m�fiance dans l�avenir de cette politique ? La France n�est certes pas � l�abri d�une �ventuelle crise financi�re comme celle que conna�t le Chili.

D�ailleurs il y a un pr�c�dent. Le gouvernement de Front Populaire de L�on Blum a eu affaire avec les m�mes difficult�s et la m�me attitude des possesseurs de capitaux. Ce fut une des principales causes de l��chec du Front Populaire.

Quelle politique permettrait � la Gauche d�y r�pondre ?

Pour emp�cher la sp�culation contre le franc ou les exportations de capitaux il ne suffirait certainement pas d�instaurer le contr�le des changes. Il faut se donner les moyens que ce contr�le soit effectif. C�est �-dire s�assurer que les capitaux ne passent pas malgr� tout � travers les fronti�res, comme ils le font en g�n�ral dans pareil cas par la fraude ou les op�rations fictives commerciales.

Ces moyens il n�y a pas trente-six mani�res de se les donner. La seule c�est de demander � tous les travailleurs de contr�ler les comptes des industriels et des capitalistes. Il faudrait lever le secret commercial et le secret bancaire, instaurer le contr�le de tous les livres de comptes et de tous les comptes bancaires, surveiller toutes les op�rations financi�res. La classe ouvri�re tout enti�re, l�ensemble des travailleurs, ouvriers et employ�s des usines et des banques, peuvent le faire. Mais il n�y a qu�eux.

Quelle serait la politique de Mitterrand ?

Exactement celle d�Allende. Il suffit de lire le paragraphe consacr� � ce sujet dans le programme commun de gouvernement du PC, du PS et des radicaux de gauche pour s�en convaincre.

� Le gouvernement prendra, d�s le d�part, des mesures rigoureuses en s�appuyant sur le secteur nationalis� (et en premier lieu le secteur bancaire), en mettant en place un contr�le des changes renforc�. La sp�culation contre la monnaie constituera un d�lit d�fini par la loi. �

Pas question donc de faire appel aux travailleurs pour que ce contr�le dont parle le programme commun soit quelque chose d�effectif. Pas question d�en finir avec le secret commercial et le secret bancaire. Mitterrand et l�Union de la Gauche entendent lutter contre l��ventuel � mur d�argent �, contre lequel le Front Populaire s�est d�j� bris�, avec les seules armes qu�emploie n�importe quel gouvernement bourgeois. C�est dire qu�ils admettent d�avance de ne pas �tre plus efficaces que Giscard... alors qu�ils savent fort bien et disent eux-m�mes qu�ils risquent d��tre en butte � des difficult�s encore plus grandes, parce qu�ils sont la gauche et parce que cette gauche a toutes les chances d�arriver au pouvoir en p�riode de crise.

Les classes moyennes sont-elles forc�ment du c�t� de la droite ?

L�enjeu �tait-il de gagner les classes moyennes ?

L�Humanit� du 9.9.73, reprenant les th�ses du Parti Communiste Chilien, �crivait : � L�Unit� Populaire doit conqu�rir la majorit�, la classe ouvri�re doit gagner des alli�s. � � Ce serait une erreur, disent encore les communistes, de croire que la classe ouvri�re seule peut r�soudre le probl�me de la r�volution chilienne, m�me si elle a �t� le moteur de la victoire de l�Unit� Populaire et si elle reste le facteur d�cisif de l��chec des tentatives r�p�t�es de coup d��tat. �

Effectivement la classe ouvri�re, qui est minoritaire au Chili comme pratiquement dans tous les pays, m�me les plus industrialis�s, doit, pour acqu�rir ou conserver le pouvoir, trouver des alli�s dans les autres couches sociales, la paysannerie et aussi la petite bourgeoisie urbaine, ou du moins les neutraliser, afin d�emp�cher qu�elles servent de troupes � la r�action.

Est-ce que la politique de l�Unit� Populaire a permis de gagner les classes moyennes ?

Au fur et � mesure que le temps passait les couches moyennes urbaines (boutiquiers, petits et moyens entrepreneurs, m�decins, membres des professions lib�rales, etc.) s��loignaient encore de l�Unit� Populaire et du gouvernement Allende et s�y opposaient de plus en plus.

Il est possible et m�me certain que les gr�ves des commer�ants, des m�decins et surtout des camionneurs aient �t� attis�es, utilis�es et m�me dirig�es par la droite dans sa lutte contre le gouvernement de gauche. Mais les raisons du m�contentement des petits-bourgeois sont � chercher ailleurs. Ce sont les difficult�s �conomiques, difficult�s du ravitaillement, rationnement, inflation galopante, qui en furent la cause, qui ont dress� les petits-bourgeois contre le gouvernement Allende.

Leur irritation fut d�autant plus grande que pour faire face � ces difficult�s croissantes, le gouvernement multiplia les contr�les et les r�quisitions qui tomb�rent essentiellement sur ces couches moyennes, sans pour cela d�ailleurs am�liorer la situation �conomique. C�est en effet aux grands capitalistes qui exportaient leurs capitaux ou aux grands propri�taires terriens qui sabotaient la r�forme agraire ou ses effets qu�il aurait fallu s�attaquer.

Mais la politique du gouvernement Allende a abouti � laisser ceux-l� en toute impunit� tout en leur fournissant des troupes contre lui-m�me en se r�v�lant incapable de porter rem�de � la crise et en multipliant les tracasseries contre la petite bourgeoisie.

Quelle autre politique aurait permis de gagner ces couches moyennes ?

La politique inverse de celle d�Allende, une politique qui en s�attaquant r�solument aux capitalistes et aux grands propri�taires fonciers aurait permis de r�duire l�ampleur de la crise sinon de l�emp�cher tout � fait.

Il aurait fallu faire une r�forme agraire radicale, qui remette aux paysans non seulement la totalit� des terres des grands domaines mais �galement le b�tail et les machines sans lesquelles il n�y a gu�re aujourd�hui d�agriculture moderne possible. � ce compte-l� d�abord la couche des grands propri�taires aurait �t� radicalement extirp�e des campagnes, o� elle constituait une base contre-r�volutionnaire en organisant et armant de v�ritables troupes priv�es pour s�opposer aux paysans. Et, de plus, la r�forme agraire aurait pu effectivement aboutir � une augmentation de la production agricole. Ainsi une des sources des difficult�s du ravitaillement aurait �t� supprim�e.

De m�me il aurait fallu mettre sous le contr�le absolu des travailleurs, ouvriers et employ�s, les livres de comptes des capitalistes et leur compte en banque.

C��tait la seule mani�re d�emp�cher la fuite des capitaux, une des sources des difficult�s financi�res du r�gime Allende.

Certes d�s le d�part la petite bourgeoisie n��tait pas favorable, en majorit�, � la gauche et � l�Unit� Populaire. Une partie de ces petits-bourgeois, en particulier ceux des couches sup�rieures, touchant aux capitalistes proprement dits, ne pouvaient sans doute pas �tre gagn�s. Mais certains le pouvaient. � condition que la gauche montre qu�elle �tait r�solue � surmonter la crise en s�attaquant sans faiblesse aux trusts, � la grande bourgeoisie et non en trouvant des palliatifs inefficaces, qui ne g�naient que la petite bourgeoisie alors que celle ci, apr�s le prol�tariat, �tait �videmment la couche sociale la plus touch�e par la crise.

Est-ce que ce sont les gauchistes qui ont provoqu� l�hostilit� des classes moyennes ?

C�est la th�se de Fajon, du PC et de toute la gauche. Les classes moyennes auraient �t� effray�es par les exc�s provoqu�s par les gauchistes (occupations d�usines non pr�vues par le programme des nationalisations, des terres qui tardaient � �tre touch�es par la r�forme agraire, consignes de d�sob�issance lanc�es aux soldats, etc.)

En fait ce qui a dress� les classes moyennes en grande partie contre le r�gime de l�Unit� Populaire ce sont les difficult�s �conomiques. Or dans celles-ci les gauchistes n�ont rien � voir. Ils ne sont pas responsables de -l�inflation qui a atteint finalement 340 % entre juillet 72 et juillet 73. C��tait le gouvernement et personne d�autre qui pouvait faire marcher la planche � billets.

D�ailleurs les gr�ves des camionneurs, des commer�ants ou des professions lib�rales ont �clat� � propos des probl�mes �conomiques et nullement � propos des occupations d�usines, de terres ou des probl�mes des soldats.

En fait ce n�est pas une action dure et radicale qui fait peur aux classes moyennes. La preuve c�est qu�elles peuvent �tre gagn�es, quand la gauche n�y prend pas garde, � la politique de l�extr�me droite qui n�h�site pas elle � employer les m�thodes terroristes. N�est-il pas paradoxal d�expliquer que les ouvriers, en employant l�arme de la gr�ve, ont fait peur aux petits-bourgeois qui se sont pr�cipit�s dans les bras de l�extr�me droite... qui les appelait � faire gr�ve eux-m�mes ?

Ce n�est pas le � gauchisme � qui a fait peur aux classes moyennes chiliennes, c�est l�absence de politique radicale, � gauchiste �, de l�Unit� Populaire contre les grands capitalistes et l��tat bourgeois, qui sont les ennemis des petits-bourgeois aussi bien que du prol�tariat, qui n�a pas permis de les gagner. La petite bourgeoisie ne peut se rallier � la gauche et aux travailleurs que si ceux-ci lui offrent une perspective. Sinon la pente naturelle, in�vitablement, les entra�ne effectivement vers l�extr�me droite.

Et une gauche qui ne s�attaque pas � l��tat bourgeois, qui laisse en place les m�mes fonctionnaires, les m�mes agents du fisc qui les gr�vent d�imp�ts, les m�mes policiers qui s�attaquent � leurs manifestations, n�a aucune chance d�attirer artisans, commer�ants, petits-bourgeois divers. Si l��tat est le m�me et a le m�me poids pour eux avec la gauche qu�avec la droite, alors oui il y a toutes les chances qu�ils glissent du c�t� de l�extr�me droite et des fascistes.

L�affirmation selon laquelle � il ne faut pas effrayer la petite bourgeoisie �, que l�on lit souvent sous la plume des dirigeants du Parti Communiste Fran�ais et de l�Union de la Gauche ne fait que traduire leur volont� de ne pas � effrayer � la grande bourgeoisie dont ils aspirent � g�rer les affaires.

Face � la droite et aux militaires la seule chance de la gauche n�est-elle pas dans son unit� � tout prix ?

Allende est il un martyr du socialisme ?

C�est ainsi que toute la gauche nous le pr�sente. De la part du PS et du PC ce n�est pas �tonnant. Mais une partie de l�extr�me gauche participe maintenant � la mystification. Sous le pr�texte que toute la gauche chilienne sans distinction est en butte � la r�pression f�roce de la junte, il ne serait plus l�heure de comprendre, d�analyser et de se d�marquer mais de soutenir sans critique. Comme si le fait d�avoir livr� sans armes et sans organisation les travailleurs, les paysans et les militants de gauche chiliens au massacre absolvait tout.

Certes nous d�fendons tous ceux qui sont en butte � la r�pression. Nous avons la m�me solidarit� face � la junte militaire pour les intellectuels que pour les ouvriers chiliens, pour les lib�raux bourgeois que pour les militants du PC ou du PS chiliens, ou que pour les trotskystes. Mais cette solidarit� face � la soldatesque ne doit pas nous emp�cher de comprendre et rechercher quelle politique fut celle des uns et des autres et en particulier des dirigeants de l�Unit� Populaire et d�Allende lui-m�me.

Par sa politique fondamentale,- souci de pr�server � tout prix l��tat bourgeois, refus de faire appel � l�initiative r�volutionnaire des travailleurs -, Allende �tait un homme politique bourgeois. Sa politique fut simplement l�une des politiques possibles de la bourgeoisie dans le contexte du Chili. Il y en avait d�autres, celle de la junte militaire par exemple, qui exigeait le massacre pr�alable de la gauche et du mouvement ouvrier, et �ventuellement m�me si l�on ne pouvait faire autrement la mort d�Allende.

� celui-ci la junte aurait d�abord offert un avion pour partir � l��tranger, ce qu�il aurait refus� si nous en croyons le r�cit d�une de ses filles qui fut avec lui au palais pr�sidentiel jusqu�au tout dernier moment. La mort d�Allende en combattant les armes � la main, comme cela semble donc �tre le cas, prouve sans doute son courage personnel et sa fid�lit� � sa politique. Elle prouve m�me que pour donner plus de poids � cette politique aux yeux des masses et de l�opinion, c�est �-dire finalement y encha�ner encore davantage les travailleurs chiliens, il a �t� jusqu�� sacrifier sa vie. Cela ne prouve pas que cette politique �tait une politique socialiste prol�tarienne. Et cela ne fait d�Allende qu�un martyr de gauche au service de la bourgeoisie, mais pas un martyr du socialisme.

Mitterrand pourrait-il un jour �tre fusill� par la bourgeoisie ?

Mitterrand est exactement le m�me type d�homme politique qu�Allende. Dans un contexte similaire � celui du Chili il pourrait subir exactement le m�me sort. Et nous pouvons dire d�avance que, comme Allende, il accepterait plut�t de risquer sa vie que mettre en cause les fondements m�mes de la domination de la bourgeoisie.

Les exemples de politiciens bourgeois, d�mocrates ou hommes de gauche, abattus ou fusill�s par la r�action militaire ou l�extr�me droite sont l�gion dans l�histoire. Le fascisme en Italie, le nazisme en Allemagne n��pargna nullement sociaux-d�mocrates ou lib�raux bourgeois qui pourtant tous, � des degr�s divers, avaient par leur politique contribu� durant les ann�es pr�c�dentes � sauver l�ordre bourgeois et emp�cher la r�volution prol�tarienne. En France m�me le r�gime de P�tain n�h�sita pas � faire juger et jeter en prison L�on Blum qui, trois ann�es plus t�t, en se comportant suivant ses propres termes � en g�rant loyal du capitalisme �, avait prot�g� celui-ci contre la mont�e ouvri�re.

Car les d�mocrates et les hommes de gauche h�sitent et g�n�ralement refusent de s�attaquer � l�extr�me droite et encore plus aux militaires d�extr�me droite parce que ceux-ci demeurent, en tous les cas, une solution de rechange possible pour la bourgeoisie. Et il est dans la politique des d�mocrates bourgeois justement de pr�server toutes les solutions politiques possibles au service de la bourgeoisie. Mais par contre, comme la politique de l�extr�me droite et de la r�action militaire est de d�truire tout mouvement ouvrier, il leur est quasi n�cessaire de d�truire aussi toute d�mocratie et, le plus souvent, de mettre donc les politiciens lib�raux bourgeois eux-m�mes hors d��tat de nuire.

Est-ce parce qu�Allende �tait un homme de gauche que l�arm�e a pris le pouvoir ?

Le fait qu�Allende �tait un homme de gauche a certes facilit� les choses pour l�extr�me droite, parce qu�Allende, en s�ali�nant les classes moyennes, les a dress�es contre la gauche et contre la classe ouvri�re. Et aussi, parce qu�en ne donnant pas satisfaction aux travailleurs et aux paysans pauvres, depuis trois ans, sur leurs aspirations essentielles, il a en partie discr�dit� � leurs yeux le socialisme, qui, � travers la politique de l�Unit� Populaire, leur paraissait avoir le m�me visage que celui du r�actionnaire r�gime du d�mocrate-chr�tien Frei auquel Allende avait succ�d� : m�mes patrons, m�me police, m�mes inspecteurs des imp�ts, etc.

Mais il n�y a pas que les gouvernements de gauche qui peuvent �tre victimes d�un coup d��tat militaire. L�arm�e peut tr�s bien saisir de la m�me mani�re une occasion favorable quand ce n�est pas un homme de gauche qui est au pouvoir. Et d�autres politiciens bourgeois que ceux de gauche peuvent mener une politique telle, et se trouver dans une situation telle, que l�arm�e ou l�extr�me droite envisagent d�intervenir. Ce fut par exemple le cas en France le 6 f�vrier 1934. Plus pr�s de nous, nous avons connu il y a dix ans, avec l�OAS, une organisation d�extr�me droite dont les cadres �taient constitu�s par toute une fraction de l�appareil d��tat, en particulier de l�arm�e, et qui essaya � plusieurs reprises d��liminer par la violence le pourtant d�j� r�actionnaire de Gaulle. Une telle possibilit� d�intervention de l�extr�me droite et de l�arm�e existe aussi � l�heure actuelle en Italie o� le r�gime parlementaire, bien que domin� par les partis de droite, est en �tat de crise permanente.

Et ce n�est pas parce qu�un coup d��tat militaire serait dirig� contre un gouvernement de droite qu�il serait moins sanglant que celui qui vient d�avoir lieu au Chili. Si Salan avait r�ussi � �liminer de Gaulle en 1962 et � s�emparer du pouvoir, il n�est pas s�r que de Gaulle et ses amis politiques d�une part et la classe ouvri�re d�autre part ne l�aient pas pay� tr�s cher.

Est-ce que l�arm�e repr�sente plus les int�r�ts de la bourgeoisie qu�Allende ne les repr�sentait ?

Les int�r�ts de la bourgeoisie, non. Allende les repr�sentait tout autant que l�arm�e les repr�sente. Mais ils ne repr�sentent pas la m�me politique, pas la m�me mani�re de d�fendre les int�r�ts de cette bourgeoisie. Et il est m�me bien possible que la politique qui correspondait le mieux aux int�r�ts de la bourgeoisie chilienne ait �t� celle d�Allende. Mais les diff�rentes fractions politiques qui pr�tendent repr�senter les int�r�ts de la bourgeoisie sont rivales et chacune saisit, quand elle le peut, l�occasion d�imposer sa politique et de se hisser au pouvoir.

La diff�rence fondamentale est que l�arm�e et l�extr�me droite peuvent an�antir, pour parvenir � leur but, tous les hommes politiques de la bourgeoisie, qu�ils soient de gauche ou de droite, mais que ni la bourgeoisie, ni ses hommes politiques, ne peuvent an�antir l�arm�e, la police, et leurs �tats-majors, sans scier la planche sur laquelle ils sont assis.

Dans le cas d�un Mitterrand au gouvernement attaqu� par l�extr�me droite et l�arm�e devrions-nous le d�fendre ?

Au-del� de tout gouvernement de gauche c�est tout le mouvement ouvrier, tout le mouvement socialiste qui serait vis� et dont la destruction serait projet�e. Aucun ouvrier, aucun socialiste n�aurait donc le choix. Sous peine de mort il faudrait se d�fendre les armes � la main. Et le faire, bien s�r, aux c�t�s de tous ceux qui seraient menac�s de m�me, y compris la gauche non r�volutionnaire ou les lib�raux bourgeois.

Comment la classe ouvri�re devrait-elle se d�fendre et d�fendre la gauche au pouvoir ?

La pire des politiques pour la classe ouvri�re serait dans ce cas-l� celle pr�conis�e actuellement par la gauche et par une partie de l�extr�me gauche � propos du Chili : se ranger, politiquement et militairement, derri�re le gouvernement de gauche, sous pr�texte qu�il est le premier vis� par le putsch ou le coup d��tat.

C�est toute la politique de cette gauche qui a abouti au Chili � mener les travailleurs sous les coups des putschistes, comme elle y aboutirait en France. Ne pas leur donner d�autres perspectives sous pr�texte que l�on est devant le putsch c�est leur demander de se rallier et d�approuver la politique dont ils sont victimes en ce moment m�me, et qui ne peut que les mener, de toute mani�re, de catastrophe en catastrophe.

Quant � faire confiance sous des pr�textes � militaires �, c�est aussi absurde puisque l�une des bases de la politique de cette gauche c�est justement de refuser absolument d�armer la classe ouvri�re et les travailleurs. En 1936 en Espagne les travailleurs ne purent, dans un premier temps, faire �chec au coup d��tat de Franco que parce que, sans tenir compte du gouvernement de Front Populaire, qui n�avait jamais envisag� d�armer la population, ils s�arm�rent, s�organis�rent en milice, combattirent sans attendre ni ses ordres ni son appui.

Et la politique des partis ouvriers qui se rang�rent alors derri�re les bourgeois � r�publicains �, et renonc�rent � d�fendre les int�r�ts et les revendications propres des travailleurs et des paysans au nom de � l�unit� �, n�aboutit qu�� d�moraliser ceux-ci, et non � renforcer la lutte contre les franquistes.

M�me si elle se trouve � combattre, par la force des choses, dans le m�me camp qu�un Mitterrand ou un Allende, la classe ouvri�re ne doit donc pas se ranger derri�re eux, pas leur faire confiance, mais mener sa politique et s�organiser ind�pendamment, militairement et politiquement, pour pouvoir le faire.

L��chec d�Allende est-il l��chec du socialisme ?

Pourquoi les r�volutionnaires sont-ils les seuls � d�fendre vraiment les int�r�ts des travailleurs ?

Les r�volutionnaires sont les seuls � mettre l�accent sur la n�cessit� pour les travailleurs de briser l��tat bourgeois, de briser l�arm�e et la police et de s�armer eux-m�mes.

Or non seulement le socialisme, non seulement le pouvoir des travailleurs dans l�entreprise ou sur la soci�t� tout enti�re, mais m�me de simples r�formes dans le cadre de la soci�t� capitaliste, ne pourraient �tre assur�s qu�� cette condition.

Les partis de gauche qui pr�tendent donc vouloir les r�formes, le pouvoir des travailleurs ou m�me le socialisme, sans se fixer d�abord, et sans fixer aux travailleurs la t�che de se donner cette garantie, n�ont aucune chance de se donner les moyens de r�aliser leurs pr�tendus programmes. Ce qui revient � dire qu�ils n�ont pas la volont� r�elle de les r�aliser.

Quelle est la diff�rence entre la gauche repr�sent�e par le PC et le PS et Lutte Ouvri�re ?

Il y a diff�rence dans nos conceptions respectives du socialisme car nous n�avons certainement pas la m�me vision de celui-ci que les sociaux-d�mocrates qui parlent de socialisme � propos de la Su�de ou les staliniens qui estiment que l�URSS est un pays socialiste en marche vers le communisme. Il y a diff�rence aussi dans la question de savoir si les travailleurs ou les partis qui les repr�sentent, pourraient parvenir au pouvoir � la suite d�une simple op�ration �lectorale dans le cadre de la constitution actuelle, car nous ne pensons pas qu�une constitution bourgeoise permette aux travailleurs de s�emparer du pouvoir et encore moins de le garder.

Mais la diff�rence essentielle, fondamentale, entre Lutte Ouvri�re et le PS et le PC, c�est que nous disons aux travailleurs que, pour avoir le pouvoir r�el, quelle que soit la mani�re d�y parvenir, les formes qu�il peut prendre, les modes d��lection, la forme du gouvernement, ils doivent poss�der la force de l�assurer, c�est �-dire poss�der les armes et les retirer � leurs ennemis, en premier lieu l�arm�e et la police.

Sous un r�gime de pouvoir des travailleurs, tous les probl�mes politiques, �conomiques, sociaux, culturels, depuis la forme d�une constitution ouvri�re jusqu�au rythme des nationalisations, en passant par les probl�mes de l��ducation ou de l�information, pourront �tre discut�s et devront �tre discut�s par l�ensemble des travailleurs, et leurs diff�rentes organisations. Tous les programmes sur tous les sujets pourront s�affronter librement au sein de la classe ouvri�re. Toutes les questions pourront �tre r�solues d�mocratiquement par l�ensemble des travailleurs et devront l��tre.

Mais ce que nous disons - et ce que le reste de la gauche refuse de dire - c�est qu�il n�y aura de pouvoir des travailleurs que lorsqu�il y aura les armes aux mains des travailleurs, et d�eux seuls.

Peut-on �tre de gauche sans �tre pour la r�volution ?

�tre de gauche sans �tre pour la r�volution, c�est se pr�parer � subir le destin de la gauche chilienne. Car �tre r�volutionnaire, ce n�est pas autre chose que d��tre cons�quemment de gauche, c�est �-dire pour le socialisme, mais en ayant bien l�intention de se donner les moyens d�instaurer et de d�fendre ce socialisme.

Sans ces moyens, les armes aux mains des travailleurs, le socialisme n�est qu�une utopie. Et les victoires �ventuelles des socialistes, quelles qu�elles soient, ne font que pr�parer de nouvelles d�sillusions, de nouvelles d�faites et de nouveaux massacres.

L�avenir est-il au socialisme ?

Pour la gauche, le mouvement socialiste et le mouvement ouvrier, les d�faites, comme celle du Chili aujourd�hui, ont �t� dans la derni�re p�riode historique, bien plus nombreuses, h�las, que les victoires. Le plus d�moralisant peut-�tre est que les plus sanglantes de ces d�faites furent m�me la plupart du temps sans v�ritable combat, sans que les travailleurs se soient donn� la moindre chance de triompher.

Une telle constatation peut sembler parfaitement d�sesp�rante devant tant d�occasions g�ch�es. Cependant elle signifie aussi que ce n�est pas � cause d�une faiblesse intrins�que et sans rem�de que la gauche, le socialisme et la classe ouvri�re ont �t� vaincus jusqu�ici. Tous les espoirs restent permis, le jour o� la classe ouvri�re saura se donner les moyens de mener � bien une politique dans ses int�r�ts et ceux du socialisme, qui sont exactement les m�mes.

Car les �normes contradictions du monde contemporain - l�incapacit� des pays dits du tiers-monde, c�est � dire les trois quarts de la population de la plan�te, � sortir du sous-d�veloppement, la crise �conomique qui, par le biais d�une crise financi�re, se fait de plus en plus mena�ante sur l�ensemble des grands pays imp�rialistes, pour ne citer que deux des principales de ces contradictions - mettent m�me le socialisme plus � l�ordre du jour que jamais. La n�cessit� d�une organisation de la soci�t� � l��chelle mondiale sur une nouvelle base, la suppression de la propri�t� capitaliste et de l�exploitation, est plus pressante que jamais si l�on veut �viter une nouvelle conflagration � l��chelle mondiale, qui ne pourrait �tre qu�une catastrophe encore plus �norme que les pr�c�dentes.

Le probl�me, le seul probl�me en fait, est de savoir si, lors des prochaines luttes d�envergure et lors des prochaines crises de la soci�t� capitaliste - qu�elles soient g�ographiquement limit�es ou g�n�rales -, la classe ouvri�re saura cette fois se donner l�organisation et la politique qui peuvent la mener � la victoire, c�est �-dire une organisation et une politique r�volutionnaires.

Sinon d�ailleurs le Chili apr�s l�Espagne, la Gr�ce, l�Indon�sie, le Br�sil, etc., etc., nous indique clairement quelle est l�autre voie qui s�offre � l�humanit� : celle de la r�action, de la dictature militaire et polici�re et du fascisme.

� Socialisme ou barbarie �, �crivait Marx il y a bien longtemps d�j�. L�exemple tout frais du Chili vient cruellement rappeler � tous les travailleurs que ce dilemme n�a rien perdu de son actualit�.

[1Texte original : sont issus

[2Texte original : 12 septembre


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